Les « maudia » ont pris le pouvoir en Côte d’Ivoire

Article : Les « maudia » ont pris le pouvoir en Côte d’Ivoire
Crédit: Pixabay
10 septembre 2021

Les « maudia » ont pris le pouvoir en Côte d’Ivoire

C’est l’heure de tirer les leçons de ce que nous avons vu et entendu au sujet du viol sur la Nouvelle Chaîne Ivoirienne (NCI), lundi 30 août 2021. Ce sujet si sensible a ouvert la boite de pandore des tares d’une société ivoirienne en panne de modèle. C’est le temps des « maudia » !

C’est jouir d’une certaine ignorance que de croire que l’éducation soit seulement l’affaire de l’éducateur ou de l’école. Et de penser naïvement que les « mieux éduqués » sont ceux et celles qui ont fait de si longues études ou qui ont un bagage intellectuel. Or, « l’éducation ne se borne pas à l’enfance et à l’adolescence », comme le dit si bien le philosophe français Paul Valéry. Il estime d’ailleurs que « l’enseignement ne se limite pas à l’école », parce que « toute la vie, notre milieu est notre éducation (…) ».

Il est clair que le mode opératoire d’un « ancien violeur » qui nous a été servi par l’équipe de production de La Télé d’ici Vacances, avec son cortège de « large sourire », est une sorte de « formation gratuite » offerte implicitement à d’éventuels « nouveaux violeurs ». Cela est d’autant plus choquant que, naturellement, la séquence a soulevé le courroux des uns et des autres dans ce qu’il convient d’appeler désormais « Affaires Yves De M’bella » en Côte d’Ivoire.

Capture d’écran sur une scène de simulation du viol dans une émission de télé vacances en Côte d’Ivoire.

Mais cette « légèreté » avec laquelle des gens ont eu le courage de « sensibiliser » (sic) sur le viol a permis de lever un coin du voile sur la profondeur du mal qui ronge, à la racine, la société ivoirienne. On parle ici de l’inversion des valeurs sociologiques. Nous sommes à l’heure des réseaux sociaux, la « place publique » où la médiocrité a pris le pouvoir.

Les dérapages auxquels nous assistons de nos jours laissent entrevoir que nous avons perdu l’essentiel : L’ÉDUCATION

Quand dans une société, le système des valeurs a « les pieds au mur », c’est la décadence. Rien qu’à voir ce qui se trame sur les réseaux sociaux, le phénomène qui a réduit le monde en une plateforme d’échange, on peut aisément comprendre que plus l’humain gagne en liberté, plus le libertinage a le vent en poupe. Il n’y a plus de retenue face à l’impudicité. Condescendance, désobligeance et irrévérence sont les maîtres mots de la conduite des médiocres sur la toile. Ce qui était illégal est devenu légal ; et la légalité a fait place à l’illégalité, en quelque sorte. N’importe qui dit et diffuse n’importe quoi. En conséquence, n’importe quoi fait le buzz, parce que n’importe quoi devient célèbre grâce à des « vues », des « likes » et des « partages » avec la complicité de la société.

Les ailes de la bêtise…

Malheureusement, cette course effrénée vers les vues a fait une grosse victime. Les « médias traditionnels » qui, en plus d’informer, de divertir tout en sensibilisant sur des thématiques sensibles et autres fléaux, devraient jouer un rôle de « régulateur » en éduquant la société, ont fui leur responsabilité. Désormais, tout le monde et n’importe qui peut passer à la télévision, à la radio pour dire n’importe quoi. Beaucoup de professionnels des médias ont troqué leurs vestes d’éducateurs et d’éducatrices contre la facilité. Ils déroulent le tapis rouge à ceux et celles qui peuvent leur donner des hypothétiques vues. Pendant que des jeunes entrepreneurs peinent à se faire connaitre, à promouvoir leur projet, nos télévisions sont à la recherche d’anciens prisonniers…

Si des médias très respectés de la place déroulent le tapis rouge aujourd’hui à des individus « tristement célèbres » sur les réseaux sociaux, qui s’arrogent abusivement le titre de blogueurs ou d’influenceurs, tout simplement parce qu’ils sont suivis par des centaines de milliers de personnes au jour le jour, c’est à croire que la médiocrité a pris le pouvoir.  

Pourquoi sommes-nous surpris de voir un « ancien violeur » prendre son courage à deux bras, venir sur un plateau de télévision, témoigner à visage découvert et démontrer sans retenue son mode opératoire à l’aide d’un mannequin ? Le comble, c’est qu’il a eu droit à des ovations bien nourries d’un public qui donne l’impression d’avoir été manipulé ? Pour moi, tout ceci n’est que la résultante d’un certain « passe-droit » donné à certains médias de la place depuis plusieurs années.

Quand d’anciens prisonniers, ayant commis l’irréparable, sont reçus après comme des stars sur des plateaux d’émission de divertissement, à qui la faute ? Alors que ces émissions drainent des millions de téléspectateurs et d’internautes à travers le monde, on voit des « maudia » venir raconter le modus operandi de leur forfait… L’apologie du viol ne devrait pas nous surprendre. Il fallait s’y attendre !

Je ne suis pas en train de tirer sur l’ambulance. Je ne fais pas non plus le procès de qui que ce soit. Pour ceux et celles qui ont l’habitude de suivre l’émission de radio « Rien à cacher », de l’animateur par qui le « scandale du viol » est passé, c’est que des grossièretés qu’on entend. L’homme n’a aucune gêne à demander vicieusement à certains de ses invités la couleur ou le modèle de leur dessous. Et cela n’émeut personne. Bien au contraire, le constat est que les gens font des mains et des pieds pour faire partir des « illustres invités » de ce fabriquant de buzz.

Dans l’émission PPLK du 20 novembre 2020, YDM* se présente fièrement comme étant « un homme à part », qui prend tout le monde à contre-pied. Si vous visionnez son passage à cette émission, il est fort possible que certains soient du côté de ceux qui croient dur comme du fer que YDM aurait monté de toute pièce un « scénario de viol » avec un ex-détenu de la MACA*, « reconverti en peintre » qu’il aurait réussir à faire passer pour un « ancien violeur ». D’ailleurs, ce dernier a nié à la barre qu’il n’avait jamais été condamné pour viol. Qu’à cela ne tienne ! Je ne suis pas un partisan de cette thèse. Toutefois, j’estime que le fond de ce « bad buzz » réside dans l’idée que les gens se font du viol en Côte d’Ivoire.

« Au pays de gâté-gâté, gâté-gâté est roi »

Il y a des années de cela, avant l’avènement des réseaux sociaux, on entendait dire que « si les femmes se font violer c’est parce qu’elles portent des tenues qui prêtent le flanc ». Et la fameuse question, « comment tu as fait pour te faire violer ? », ça ne vous dit rien ? Bref, si le viol n’était pas un « fait banal et anodin » dans notre société, il se trouverait des gens [ceux qui ont encore une petite dose de pudeur] qui auraient refusé que ce sujet soit abordé avec autant de légèreté sur un plateau d’une chaîne de télévision qui se veut sérieuse. À entendre YDM sur PPLK, aucune de ses émissions n’est préparée. Il passe à l’action quand ça lui passe par la tête ; si et seulement ça peut créer le buzz.

Est-ce que la repentance d’un ancien violeur ou braqueur devrait faire de lui un modèle de société ? Comme disent les Ivoiriens, « au pays de gâté-gâté, gâté-gâté est roi ». Sinon, comment comprendre qu’on en arrive à « prendre des anti-valeurs comme des valeurs » ?

Sur cette question, je suis totalement en accord avec le journaliste éditorialiste Aristide N’Kenda N’Kenda quand il disait, lors d’un débat télévisé, qu’on ne peut pas continuer à « prendre une non-valeur pour en faire de la promotion et en faire une valeur ». Partant du principe que « la parole est sacrée », si l’on en croit à ce responsable de presse, « parce que la prise de parole n’est pas anodine », sa prise doit être « courageuse et responsable ». Comme pour dire qu’on ne devrait donner la parole qu’à ceux qui posent des [bons] actes et non à des « maudia ».

Ce n’est pas le sociologue Valentin Zahui qui dira le contraire. Abondant dans le même sens que M. N’Kenda N’Kenda, il pense que « si nous voulons (re)construire une Côte d’Ivoire des valeurs, il va falloir faire attention à ceux qui prennent la parole sur la place publique ». « Aujourd’hui, poursuit-il, ce sont les télévisions et les réseaux sociaux qui sont la place publique. Il faut faire attention à qui l’on fait appel pour prendre la parole. Si l’on invite des contre-valeurs, on participe à mettre en place des contre-valeurs. On n’est pas forcément surpris de ce qui arrive aujourd’hui », a dit le sociologue.

Deux invités de NCI en prison…

Les propos de l’éditorialiste et du sociologue, étaient-ils prémonitoires ? Comme par coïncidence, ils faisaient partie des invités du débat télévisé de NCI 360 du 29 août. L’une des thématiques de ce jour portait sur l’arrestation du « sulfureux » homme d’affaires médiatisé. Al Moustapha, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était la star de LTI Vacances du 16 août 2021, où il se vantait d’avoir acheté des chaussures à 1 500 euros, une montre à 7 millions de FCFA (plus de 10 000 Euros) et d’avoir bénéficié d’une vingtaine d’hommes armées qui assuraient sa garde à l’époque où il avait créé le « Mouvement j’aime Gbagbo » sous le régime des « refondateurs » entre 2000 et 2010.

Mais 10 jours plus tard, l’on apprend que celui qui se fait appeler « Don Muchacho » est convoqué par la Brigade de recherche d’Abidjan-Plateau pour répondre à une plainte du Sénat ivoirien. Placé en garde à vue le 25 août, Al Moustapha s’est vu accuser d’avoir participé à la vente frauduleuse de bons d’exonération d’une valeur de 100 millions de FCFA (plus de 152 000 Euro) destinés à des sénateurs. Face à un fait aussi gravissime, l’homme sera placé le lendemain aussitôt « sous mandat de dépôt » en attendant d’être jugé. C’est dire qu’en moins d’un mois, au moins deux invités (incluant l’ancien violeur) de YDM se sont retrouvés en prison pour des affaires d’escroquerie et d’impudicité.

Le procureur de la République de Côte d’Ivoire doit être très regardant sur les émissions télévisées qui utilisent « des tristement célèbres » pour rechercher le buzz.

On se souvient encore qu’en 2016, à l’émission C’midi, on a vu un « ancien redoutable gangster » venir témoigner sur des méfaits qui ne l’ont jamais conduit en prison. Quelle éducation voulez-vous que nos enfants ou nos jeunes reçoivent de la mésaventure d’un personnage qui dit avoir volé 13 millions de FCFA (près de 20 000 Euro) à 10 ans dans un bureau où il était allé livrer des journaux ? Alors qu’on prétend que ces « anciens » malfrats ont changé de fusil d’épaule, pourquoi la télévision continue d’utiliser le « vilain sobriquet » sous lequel il ou elle prospérait ?

L’ancien « gangster de C’midi », pardon, passé à C’midi, se faisait appeler le « N°10 ». Les responsables de cette émission ont voulu faire de ce « capitaine du gangstérisme » une occasion en or pour se faire une grosse audience publicitaire ! Comment peut-on se servir des mauvais exemples, de personnages aux passés lugubres, pour « faire marcher » des émissions de divertissement ?

Pour ma part, je suis convaincu qu’une télévision demeure le miroir d’une société, parce qu’un chien n’accouche pas d’un chat. Qu’on soit parent ou pas, adulte ou pas, lettré ou illettré, il est temps que chacun participe au changement d’une Côte d’Ivoire éduquée dans la rue, au marché, dans les gares routières, dans les bureaux, dans les médias et surtout sur les réseaux sociaux. C’est à ce prix que nous allons rétablir le système des valeurs.

FBIYAY

*Maudia, c’est un mot nouchi qui peut signifier « maudit », « médiocre » ou « anti-valeurs »

*MACA, c’est la principale prison de Côte d’Ivoire qui signifie « Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan »

*YDM = Yves De M’bella

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Commentaires

Zoungrana idrissa
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Très belle analyse mais hélas je suis convaincu que peu en tireront profit.
Toujours un plaisir de lire vos productions !

Fofana Baba Idriss
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En effet, notre rôle est de ne pas encouragé la facilité pendant que beaucoup parmi ceux qui se battent peinent à se faire de la visibilité. Merci pour ton commentaire très cher homonyme Idriss.