L’école ivoirienne, l’heure de changer de paradigme scolaire

Article : L’école ivoirienne, l’heure de changer de paradigme scolaire
Crédit: Mairie d'Adjamé
7 décembre 2021

L’école ivoirienne, l’heure de changer de paradigme scolaire

Les reformes à elles seules ne suffiront pas pour ramener l’école ivoirienne sur le piédestal de la réussite. Il faudra un changement de paradigme du côté de tous les acteurs du système éducatif. Chacun doit assumer sa part de responsabilité pour venir à bout de ce phénomène des « congés anticipés ». Il est inacceptable que des élèves instaurent la violence et la machette dans nos établissements scolaires comme mode de communication.

« L’école ivoirienne c’est vraiment triste, ça ne recule pas, ça n’avance pas », dénonçait l’artiste Fitini dans son tube à succès « Tout mignon » sorti en 2002. L’année où la Côte d’Ivoire a connu une rébellion armée qui l’avait mise à genoux sur tous les plans. 20 ans après, celui qui se fait appeler le « créateur » dans le milieu zouglou ivoirien n’avait pas eu tort de critiquer l’école ivoirienne.

Pour preuve, en février 2021, le rapport 2019-2020 du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (Pasec) a classé la Côte d’Ivoire « avant-dernier » sur les 10 pays d’Afrique de l’Ouest ayant participé à l’évaluation PASEC 2014 dans le volet « éducation des enfants et des filles les plus pauvres ».

Ce rapport a fait couler encre et salive. Au moment de sa publication, la ministre ivoirienne responsable de l’Éducation nationale n’était autre que Kandia Camara, dont les 10 années de gestion dudit portefeuille ont fait l’objet de beaucoup de critiques. Puis, comme si le président de la République avait finalement compris qu’il ne pouvait pas espérer un meilleur résultat, il décida de confier « le ministère à problème » à une autre dame.

Un ministère à problème…

Trois mois après, le matin du 6 avril 2021, nous avons assisté à l’arrivée de Pr Mariatou Koné qui, avouons-le, avait fait ses preuves à la tête du ministère de la Solidarité, de la Cohésion Sociale et de la Lutte contre la Pauvreté. Héritant d’un historique peu reluisant de l’école ivoirienne, la ministre Mariatou Koné a naturellement opté pour des réformes dans le but de conjurer le « mauvais sort » devrait-on dire.

L’une des plus grandes initiatives aura été le lancement des états généraux de l’éducation et de l’alphabétisation en juillet 2021. Ce cadre de concertation, qui était très attendu, devrait durer six mois. En toile de fond, il s’agira de donner un nouveau souffle à l’école ivoirienne qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Car, disons-le honnêtement, la Côte d’Ivoire a graduellement changé de visage de 2010 à 2021 grâce à ses infrastructures mais son système éducatif n’a fait que dégringoler au fil des ans.  

Bon gré mal gré, la nouvelle ministre ivoirienne de l’Éducation nationale fait de son mieux, à travers des décisions courageuses, pour redorer le blason de l’école qui a perdu de son lustre. Mais visiblement, le mal semble plus profond que la profondeur des actions de Pr Mariatou Koné.

À l’analyse, et au regard des décisions récentes émanant du ministère de l’Éducation nationale, Pr Mariatou semble plus mettre l’accent sur le contenu, les styles d’apprentissages, les stratégies d’enseignement, les évaluations ainsi que la formation des maîtres/enseignants. Mais tout ce travail de fond risque d’être balayé d’un coup d’épée dans la lagune Ébrié si les dispositions ne sont pas prises pour endiguer la violence qui balafre l’école à la machette.

En parlant de violence, puisque le mot est lâché, la ministre Mariatou, malgré ses « bonnes intentions » du mois de juillet 2021, s’attendait à tout. Sauf au ‘’débrayage’’ des élèves pour les congés dits « anticipés ». En effet, le 17 décembre 2021 est la date du départ officiel des élèves pour les congés de Noël. Contre toute attente, le lundi 29 novembre 2021, le ton des « départs forcés » a été donné dans un établissement d’une commune de la banlieue abidjanaise. À Anyama, des élèves du Collège Yvac ont été délogés de gré ou de force par certains de leurs pairs. Sur leur passage, les « délogeurs » n’ont pas que délogé ! Même s’ils sont loin d’être des « logeurs », ces ‘’microbes scolaires’’ se sont illustrés dans une des rares violences inouïes en s’en prenant aux infrastructures scolaires, au personnel enseignant et administratif.

Un enseignant dans un coma, un élève dans un cercueil…

Depuis lors, le phénomène des congés anticipés, disons le boycottage des cours, a le vent en poupe. Plusieurs établissements scolaires du pays, Facobly, Divo, Cocody, Blolequin, Dimbokro, Man, Vavoua, Soubré, Bocanda, Korhogo, San-Pedro etc. font les frais d’individus violents, quelquefois armés de gourdin et de machette. Les élèves et les membres du personnel qui essaient de résister à cette furia, sont aussitôt matés.

Pendant que les événements de débrayage se poursuivent, on apprend la mort de « Kouakou Raoul, 15 ans, élève en classe de 4e au lycée municipal d’Issia » [l’équivalent de 9e année du secondaire au Canada]. L’adolescent serait décédé dans la cour de l’établissement le vendredi 3 décembre 2021. Il aurait reçu des coups de couteau en pleine poitrine. Une publication de l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP) présente une image avec un regroupement impressionnant d’élèves autour d’un cercueil qui serait celui de Kouakou Raoul. Pour l’heure, les enquêtes seraient en cours pour retracer la véracité des faits. À côté de ce triste spectacle, l’on apprend également qu’un enseignant d’un établissement secondaire de Facobly aurait reçu un projectile à la tête. Ce dernier serait plongé dans un coma à en croire la publication d’un certain Assoua Kamenan dans le groupe Facebook « Entre-Profs ».

Visiblement, la campagne « zéro congé anticipé » lancée par la ministre le lundi 29 novembre 2021, avec les dates officielles des congés scolaires, était une bonne initiative. Mais la ministre doit reconnaître qu’elle s’y est prise tardivement. Elle n’a pas su anticiper elle-même sur les fameux congés anticipés. Les esprits étaient déjà en branle pour les congés. Pour rappel, il y a deux ans de cela, les congés anticipés avaient enregistré au moins trois morts en Côte d’Ivoire.

Soro et Blé Goudé, les instigateurs de la violence à l’école

Au-delà de cette campagne « zéro congé anticipé » qui est arrivée comme un cheveu sur la soupe, la question qui mérite d’être posée est de savoir : pourquoi des élèves peuvent tuer pour le plaisir de se mettre en congé ? C’est le tristement célèbre visage de l’école ivoirienne depuis l’introduction de la violence et de machette dans les universités et écoles ivoiriennes sous l’ère Guillaume Soro et Blé Goudé.

Eux, ce sont les ex-leaders de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). Ils se sont reconvertis en « grands politiciens » depuis quelques années. Ils disent même avoir des « aspirations profondes » en politique. Pour couronner le tout, nos anciens fescistes pensent pouvoir incarner le changement générationnel à la tête du pays. Je me demande quel avenir ils nous réservent au regard de leur passé sulfureux. Aujourd’hui, leurs jeunes frères leur ont emboîté le pas pour perpétuer leurs œuvres, la violence et non des moindres…

D’une part, faut-il rejeter la faute aux parents qui ont perdu leur autorité dans l’éducation de leur progéniture? D’autre part, faut-il s’en prendre aux autorités scolaires qui démontrent leur impuissance à instaurer la discipline, l’ordre dans les établissements malgré les moyens régaliens de l’État qu’ils ont à leur disposition ? En tout état de cause, il faudra que chaque partie assume les conséquences de la déchéance de ces jeunes.

Un système éducatif qui fabrique des exclus ?

Souvent, j’entends certaines personnes dire que ce seraient des badauds qui enfileraient des uniformes scolaires pour déloger d’autres élèves. Mais à quelle fin ? Quel rapport ont ces « voyous » avec l’école ? Est-ce leur façon de vouloir se venger de leur éjection de l’école ?

Bien malin qui pourra répondre à cette question. Toutefois, je peux affirmer que s’il s’agit réellement de badauds, il est fort probable qu’ils soient galvanisés par de « vrais élèves », assis en salle de classe, qui n’attendent que le premier coup de sifflet de leur complice.

Revenant sur la question de l’exclusion, je rappelle que le 15 juin 2021, l’Agence ivoirienne de Presse nous informait de ce que « 558 élèves de la classe de sixième au lycée moderne d’Issia ont été exclus pour avoir obtenu une moyenne annuelle inférieure à 8,50 sur 20 ». C’est presque l’effectif d’un établissement d’enseignement secondaire au Canada. Mais où vont ces exclus ?

C’est l’occasion pour moi d’interpeller la ministre de l’Éducation nationale sur le changement de paradigme qu’il faut amorcer au niveau du système éducatif ivoirien. Dans un article publié sur Wikilivre, Marie C. (2021) nous apprend que « le rôle de l’école est de fournir une culture commune à tous les individus, quel que soit leur milieu d’appartenance, afin que cette éducation puisse leur servir tout au long de la vie ». Partant de cette définition qui se veut plus inclusive, le système éducatif basé sur une « performance scolaire » produira certes des « intelligences », mais il produira davantage de « mauvais grains » que de « bons grains ».

Un mouvement vers l’inclusion…

Pour aller dans le même sens que l’étude des chercheurs Belanger et Duchesne (2010), nous devons embarquer dans « le mouvement de l’inclusion scolaire qui est un processus qui prend en compte la diversité des besoins des apprenants pour maximiser la participation à l’apprentissage, à la vie sociale et culturelle de l’école et de la communauté et pour réduire le nombre des exclus de l’école ».

Autrement dit, si nous continuons d’exclure des élèves pour « mauvais rendement », le message que nous renvoyons à la société serait de dire que « ces enfants ont leur place ailleurs autre que l’école ». Mais où donc ? N’oublions pas que la Côte d’Ivoire est signataire de certains traités internationaux, dont la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la convention relative au droit des enfants de 1989, qui garantissent le « droit à l’éducation ». Mais, dans la réalité, comment appliquons-nous ce droit ?

Il est temps de formater nos styles d’enseignement-apprentissage en nous concentrant sur le besoin de chaque élève, en appuyant chaque élève, en trouvant des stratégies pour impliquer les parents dans le suivi scolaire afin que chaque élève puisse développer son plein potentiel.

Enfin, il est temps pour nous de nous mettre au diapason de la conception universelle de l’apprentissage (CUA). Ce ne sont plus les élèves qui doivent s’adapter au rythme de l’enseignant, c’est plutôt l’enseignant qui devrait aller au rythme de chaque élève, afin de leur donner la chance d’être des acteurs de leur propre apprentissage, de leur propre éducation et de leur propre réussite. Cela va réduire le taux d’échec scolaire, le décrochage scolaire, les exclusions scolaires et par ricochet les frustrations scolaires. C’est à ce prix que la Côte d’Ivoire va révolutionner positivement l’éducation en Afrique de l’Ouest.

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Commentaires

Mme Salimata
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Wahooo, belle analyse du système éducatif de notre belle patrie. C'est tellement bien structure M. Fofana. J'espère que cela arrivera où de droit afin de porter fruit à notre système éducatif.
Bravo

Fofana Baba Idriss
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Bonjour Mme Salimata. Je me sens très flatté et honoré par votre commentaire. Nous aimons notre pays et nous ne pouvons que prôner les meilleures pratiques éducatives.