18 mars 2013

Abidjan, Chrétiens et Musulmans passent aux aveux…

En vue de faire disparaître les séquelles de la crise post-électorale 2010-2011, une « Journée de réconciliation » a été initiée en mars 2012. Cette année, en lieu et place, l’on a assisté au « Lancement des Journées de prières » sous la houlette du Gouverneur du District d’Abidjan. Où, presque toutes les confessions religieuses ont parlé d’une même voix et d’un seul nom.

Samedi 16 mars 2013. Journée exceptionnelle et mémorable. Il est 9 heures au Palais de la Culture de Treichville. Forces de l’ordre, Sapeurs pompiers, à bords de véhicules de troupe ou d’ambulance, déambulent. A l’avant clôture comme à l’arrière du mystique lieu de retrouvailles, des attroupements d’enfants, de jeunes et de vielles personnes sont perceptibles de part et d’autre. Casquettes sur la tête, drapeaux aux couleurs nationales en main, tous guettent un seul lieu : la salle baptisée « Bernard Binlin-Dadié ». Pas pour assister à un concert comme à l’accoutumée, mais prendre part à une cérémonie inhabituelle. Celle du « Lancement des Journées de prières » pour la « Repentance, l’Unité et la Paix » en Côte d’Ivoire. Mais, en attendant le cérémonial, prévu pour 11 heures, Chrétiens et Musulmans, main dans la main, communient avec un seul mot à la bouche : « Dieu ». Les « Alléluia » et « Atakbir » retentissent quand les chorales se succèdent au podium. Animateurs chrétiens et musulmans tiennent en haleine la foule qui continue d’occuper les 4000 places de la salle.

« Alléluia » et « Atakbir »…

A 12 h 10, les choses sérieuses commencent. Une prière d’introduction est dite par l’Imam Ali Ouattara et l’Apôtre Bouabré Janvier afin que « l’unique Dieu chrétien et musulman » prenne ‘’possession’’ desdits lieux. Fortement impliqué dans l’organisation de ladite journée, c’est le Gouverneur du District qui ouvre le bal des allocutions. Avec une bonne dose de spiritualité, Robert Beugré Mambé prend référence dans l’ancien testament pour rappeler à ses frères et sœurs chrétiens, musulmans et judaïques qu’ils sont tous des enfants d’Abraham.

Avant de dégager la responsabilité des Imams, Pasteurs et Prêtes à travers quatre ‘’enseignements’’ tirées de « l’histoire de Anne qui était l’épouse de El Canaan ». Puisque, le Gouverneur du District instruit que ces derniers représentent Dieu dans le monde des hommes. La première, selon lui, est que « Dieu écoute les prières de tous ces envoyés qui lui sont adressées pour demander pardon et apporter son secours à ses enfants ». La deuxième, ajoute-t-il, « les envoyés de Dieu (les Imams, les Pasteurs, les Prêtes), reconnaissent la voix de Dieu avec ‘’x’’ et la voie de Dieu avec ‘’e’’ pour donner la lumière aux enfants de Dieu ».

La troisième, poursuit-il, « l’Imam, le Pasteur, le Prête montrent la conduite à tenir quand Dieu nous appelle ». Et enfin, la quatrième leçon tirée par le patron du District d’Abidjan établit que « l’Imam, le Pasteur, le Prête respectent le décret de Dieu, quand Dieu a décidé ». Aussitôt dit, Beugré Mambé met les hommes religieux en mission. « Nous vous demandons de confier notre pays, le District, les Ivoiriens à Dieu ; de demander pardon à Dieu pour nos fautes. Et, qu’il nous enseigne à nous aimer les uns les autres. De confier notre pays à Dieu afin qu’il inspire les dirigeants, le Chef de l’Etat, les ministres, les partis politiques et tous ceux qui font la politique pour que notre pays devienne le sanctuaire de la lumière de Dieu », souhaite-t-il de tout son vœu.

A sa suite, les guides religieux prennent la parole. Au nom de toute la communauté musulmane, l’Imam Mamadou Traoré, représentant le Cheick Al Aïma Aboubacar Fofana, monte au pupitre. Sans faux-fuyant, il reconnaît que la fin de la crise post-électorale, qui a fissuré le tissu national et la cohésion sociale, n’a pas encore permis de conjuguer tout cela. « Nous sommes témoins des calamités qui frappent nos braves populations, des incendies et accidents qui endeuillent la Côte d’Ivoire, des soubresauts qui troublent le sommeil des citoyens. Et pourtant, ce ne sont pas les volontés qui ont manqué pour que cela nous arrive », déplore-t-il.

Chrétiens et Musulmans ont parlé d'une même voix et d'un seul Dieu... pour conjurer le mauvais sort.
Chrétiens et Musulmans ont parlé d’une même voix et d’un seul Dieu… pour conjurer le mauvais sort.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Imam Traoré : ‘’Nous avons beaucoup péché’’

Rappelant le conteste historique des faits, l’Imam indique que la Côte d’Ivoire a connu des moments où des crimes odieux ont été perpétrés par des Ivoiriens contre des Ivoiriens. « Le sang a coulé. Des atrocités ont été commises. Bref, nous avons beaucoup péché », regrette l’homme de Dieu. Selon lui, tout ce qui arrive à la Côte d’Ivoire en ce moment relève de la punition de Dieu. « Quand on a trop péché, on encourt la colère divine. Et, lorsque la colère de Dieu s’abat sur un peuple, ce dernier pourrait subir des calamités naturelles, souffrir des dislocations sociales ou tout simplement constater une baisse de spiritualité. N’est-ce pas ce qui se passe chez nous, en Côte d’Ivoire », croit savoir le vice-président du Conseil supérieur des imams (COSIM).

Raison pour laquelle Mamadou Traoré explique que les Religieux ont décidé de jouer leur partition, en se tournant vers le Tout-puissant pour lui adresser des Prières, le pardon et la repentance. « Il est primordial de chercher d’abord et avant tout, à nous réconcilier avec Dieu. En regrettant ce que nous avons fait et en faisant preuve de repentance sincère pour espérer la clémence de Dieu et bénéficier de sa miséricorde infinie », préconise l’Imam de la Grande mosquée de la Riviera Golf. Non sans oublier de souligner qu’il faut savoir, également, demander pardon aux victimes après avoir imploré Dieu. « Si nous savons que nous n’avons pas été correctes, alors, ayons l’humilité de demander pardon aux victimes innocentes », dit-il.

Selon le porte-voix de la communauté musulmane, pour l’obligation d’aller à la réconciliation, à la paix, à l’unité et à l’amour, chacun doit agir dans le sens que recommandent les écritures saintes. Car, au dire de l’Imam Mamadou Traoré, c’est cela qui nous mènera vers l’unité véritable nécessaire aux valeurs sociales qui en découlent. Et, de terminer en insistant sur le fait que « la Côte d’Ivoire est une République laïque, creuset de peuple et de cultures diverses. Et d’ajouter que, cette diversité doit être notre richesse, et non une adversité ».

Embouchant la même trompette, le Bishop Benjamin Boni, prenant la parole au nom de toutes les communautés religieuses qui confessent Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur, estime que Dieu a comblé la Côte d’Ivoire par une dissemblance. Ce, avec plus d’une soixantaine de langues locales; d’alliances intertribales ; de la liberté de culte avec une présence plus remarquable de l’Islam et du Christianisme sans que les autres religions qui s’enracinent ne soient niées ; d’une hospitalité débordante. Malheureusement, dépeint-il, « Depuis le 19 septembre 2002, des coups de feu, des bruits de bottes, des propos et attitudes trop partisans et égoïstes ont déstabilisé cette harmonie ». De ce fait, Benjamin Boni pense que l’impact de la crise ivoirienne est pluridimensionnel.

Bishop Boni : ‘’Des contradictions nous ont été servies’’

Une situation qui lui fait dire que plusieurs observateurs ont longtemps soutenu que la crise n’était pas uniquement une guerre entre politiques, entre autochtones et allogènes ; mais un conflit opposant de manière précise les Musulmans et les Chrétiens. « Il n’en demeure pas moins vrai que, cette bipolarisation du conflit entre groupes hypothétiquement ou stratégiquement définis comme étant le nord contre le sud, les Musulmans contre les Chrétiens reste un aspect important de la crise », relève le Bishop.

Étayant ces propos, l’Homme de Dieu avance que l’irruption dans les lieux d’adoration et l’obligation faite aux fidèles ou religieux de dire des paroles ou commettre des actes odieux sur le plan sexuel, de respecter des paroles, assurément, profanents par rapport à leur ligne doctrinale ou usages religieux… ont affecté spirituellement et moralement plusieurs personnes. « Pendant que nous y sommes, reconnaissons aussi qu’aux heures particulièrement sensibles de la crise, des enseignements, des prophéties pour le moins contradictoires ont été servis à des fidèles non enracinés et donc conditionnés et fanatisés. La souveraineté de Dieu se définissait donc à l’aune de l’interprétation ou de la vision humaine », déplore Benjamin Boni.

Comme l’Imam Traoré, sans la langue de bois, le porte-voix de la communauté chrétienne reconnaît à son tour que c’est la colère de Dieu qui s’abat sur la Côte d’Ivoire en ce moment. « Beaucoup de sang d’innocents, d’Ivoiriens, d’Etrangers, d’activistes de personnes neutres ont coulé. Dieu n’est-il pas en colère ?», s’interroge-t-il. A l’en croire, les initiatives courageuses des autorités ivoiriennes visant la réconciliation nationale, environ deux ans (2) après, n’ont pas encore atteint le but escompté parce qu’il y a la ‘’méfiance’’, des ‘’frustrations’’ et les ‘’règlements de compte’’. Pour Benjamin Boni, « il est temps à la remise en cause de tous les acteurs de la vie nationale. Il nous faut faire preuve de beaucoup d’humilité en jouant la carte du positif à l’instar du norvégien Nils KJAER qui dit : ‘’C’est celui qui se perd qui trouve des voies nouvelles’’ ».

Visiblement satisfait, le directeur de Cabinet du ministre de l’Intérieur, Bamba Cheick Daniel salut les interventions de ses prédécesseurs, au pupitre. Notamment, les prêtes, les pasteurs, les imams et surtout le Gouverneur du District d’Abidjan Robert Beugré Mambé, pour avoir réussi le pari de mobiliser les hommes religieux – comme un seul homme – de toute confession confondue. Qui, selon lui, sont les mieux placés pour « mettre fin à la saignée des cœurs ». L’envoyé du ministre d’Etat Ahmed Bakayoko ne manque pas de transmettre quelques notes de son patron. Enfin, il est revenu à Monseigneur Salomon Lézoutié et le Khalife de la Tidjaniya, Moustapha Sonta de boucler la cérémonie par une bénédiction finale.

90 jours de recueillement décrétés

Comme les responsables des Communautés Musulmanes et Chrétiennes l’ont si bien dit. Après le Palais de la Culture, les fidèles devront continuer de prier chez eux, dans les temples et partout où ils se trouveront afin que le Saint-Esprit prenne « possession » de la Côte d’Ivoire toute entière. Ainsi, la communauté musulmane, à travers l’ensemble des structures islamiques, entend s’engager dans un processus de prières dans les mosquées.

Selon l’Imam Mamadou Traoré, celles-ci se concrétiseront par des actes de dévotion tels ‘’Lecture coranique’’, ‘’Lecture de Dalâ-ilou-Khaïrât’’, ‘’Dzikr’’, ‘’Jeune’’, ‘’Qounout’’, ‘’Immolation en guise de sacrifice’’, pendant 90 jours, à compter du vendredi 22 mars prochain, jusqu’au vendredi 21 juin prochain. « La cérémonie officielle de clôture de ces Journées de Prières est prévue pour le samedi 22 juin, à la grande Mosquée de la Riviera Golf », a précisé le vice-président du COSIM.

S’agissant de la communauté chrétienne, le Bishop Benjamin Boni a annoncé que des prières et jeûnes seront initiés dans toutes les Eglises. Mais, en attendant d’arrêter des dates précises, il a souhaité que les fidèles continuent de prier pour « sanctifier et purifier » la terre ivoirienne du sang innocent versé. Qui ne cesse de l’accuser devant le trône de la sainteté.

FBIYAY

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