Côte d’Ivoire : le match retour des va-t-en-guerre

Article : Côte d’Ivoire : le match retour des va-t-en-guerre
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15 juin 2019

Côte d’Ivoire : le match retour des va-t-en-guerre

Huit ans après la crise post-électorale de 2010 qui a fait au moins 3 000 morts en Côte d’Ivoire, les tristement célèbres politiciens ivoiriens ont enfilé à nouveau leur manteau de va-t-en-guerre. Ils tiennent des propos identitaires rétrogrades, agitent les foulards rouges et dressent les uns contre les autres. Le pays d’environ 25 millions d’habitants court-il [inéluctablement] vers une autre catastrophe? Si l’on y prend garde, les quelques conflits intercommunautaires, cette année 2019, ont déjà annoncé les signes avant-coureurs de ce qui risque d’être « irréparable » en 2020.

L’heure est grave au pays ! Félix Houphouët-Boigny, le premier président fondateur de la Côte d’Ivoire moderne (1960-1993) doit se retourner dans sa tombe. Celui qui a aboli le travail forcé en Côte d’Ivoire (1946), qui a été trois fois ministre, et non des moindres, dans des gouvernements en France (1956 à 1961), qui a rendu la Côte d’Ivoire aux Ivoiriens avec l’acquisition de l’indépendance (1960) avant de mourir, va devoir mettre fin à son “silence tombal” pour recadrer ses enfants. Ces pseudos Houphouëtistes ou héritiers d’un soir, qui ont tout appris à l’école d’Houphouët, qui se réclament de son idéologie politique, ont subitement perdu la mémoire au lendemain du rappel à Dieu du “vieux” en 1993.

La culture du vrai Ivoirien de l’Ivraie…

La perte de mémoire a tellement rendu fou certains qu’on prend le malin plaisir de basculer dans la haine, la xénophobie, le rejet de l’autre à travers des discours identitaires à l’approche de chaque élection présidentielle. Déjà en 1995, on assistait à la naissance de l’Ivoirité, un slogan politique qui distinguerait le vrai Ivoirien de l’ivraie. Un beau matin, les fils adulés sont devenus des fils adultérins, des « bôyôrôdjans » (en malinké, ceux qui viennent de loin). Le résultat était implacable : d’un coup d’État en 1999, une rébellion s’est pointée en 2002. Et, la cerise sur le gâteau, une crise post-électorale viendra boucler la boucle avec au moins 3 000 morts en 2011.

Pour ceux qui ont encore de la mémoire, tout-petits, nous avons vu pleurer à chaudes larmes nos parents le jour où « Nanan Boigny » a cassé la pipe. Cela était prémonitoire. Ils ont senti la guerre de succession entre les enfants d’Houphouët. La côte d’Ivoire, jadis terre cosmopolite et hospitalière sous Houphouët, qui a connu le « miracle ivoirien » sous Houphouët, qui était considérée comme un « Petit Paradis » en Afrique sous Houphouët, est devenu infréquentable sous les « vrais faux héritiers ».

L’étranger : l’envahisseur, le faussaire, le tueur

26 ans après la mort de Félix Houphouët-Boigny, de tous les Chefs d’État qui se sont succédé à la présidence de la République de Côte d’Ivoire, les Ivoiriens n’ont jamais connu de passation de pouvoir. Henri Konan Bédié, Guéi Robert, Laurent Gbagbo ont tous été “sautés” parce qu’ils ont voulu s’accrocher au pouvoir d’État. La plupart d’entre eux ont, à un moment donné, manipulé les populations par le canal des discours identitaires. Quel sera le sort d’Alassane Ouattara en 2020 ?

Comme le dit si bien Winston Churchill, « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Les Ivoiriens semblent n’avoir tiré aucune leçon de la récente crise post-électorale. Pour preuve, toutes les initiatives entreprises en matière de réconciliation n’ont jamais prospéré. Depuis plus de 10 ans, les Ivoiriens font semblant de s’aimer. Ils se regardent en chien de faïence parce qu’ils ne se font plus confiance.

Les thèmes du genre, “l’ivoirité”, “la Côte d’Ivoire aux Ivoiriens”, “les vrais Ivoiriens”, “les jeunes patriotes”, “fraude sur la nationalité ivoirienne”, “le candidat de l’étranger”, etc. ont gangrené dans la tête de bon nombre d’Ivoiriens. Des frères et sœurs de la même patrie ont fini par étiqueter certains de leur compatriote « étranger » par la force des hommes politiques. La haine s’est emparée des cœurs, les nordistes sont devenus les ennemis jurés des sudistes. C’est ce qu’on a vécu. Je n’invente rien !

De gauche à droite : Robert Gueï, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié – image d’archive

De Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara en passant par Henri Konan Bédié et le général Guei Robert, les Ivoiriens ont vu nos politiciens à l’œuvre. Ils aspiraient tous à diriger le pays, ils ont tous goûté le pouvoir. On connaît leur langage, on sait qui est qui désormais. Allons-nous continuer à se haïr pour faire plaisir à ces messieurs ? On ne le dira jamais assez, la vieille classe politique est un véritable danger pour l’avenir de la Côte d’Ivoire.

L’ivoirité, le nerf de la haine en Côte d’Ivoire

Pour des questions de pouvoir, ils sont prêts à déchirer la cohésion sociale sur l’autel de leurs intérêts. À l’image de l’ancien président Henri Konan Bédié qui a tenu des propos incendiaires d’une portée gravissime ces jours-ci. Le discours de quelques minutes, retranscrit ci-dessous, fait le tour du monde à travers les réseaux sociaux.

« (…) Je parlerais de faits troublants. D’abord, les conflits intercommunautaires. Ensuite, de ce que recouvre le phénomène de l’orpaillage en Côte d’Ivoire. Puisqu’on fait venir des étrangers armés, qui sont stationnés maintenant dans beaucoup de villages. S’ils sont armés, c’est pour servir à quoi ? Il faut simplement que nous soyons conscients. Car le moment venu, nous agirons pour empêcher ce hold-up sur la Côte d’Ivoire sous le couvert de l’orpaillage. Nous dénoncerons aussi d’autres qu’on fait venir clandestinement, cela se passe surtout dans la commune d’Abobo. Les gens rentrent, on leur fait faire des papiers et ils ressortent. Certains repartent, d’autres restent. Et tout cela pour quel but ? Si c’est pour venir fausser les élections de 2020, nous voulons le savoir. Mais nous traiterons de tout cela UN JOUR. Car, les précédents doivent nous servir. Nous avons fait venir des étrangers dans nos plantations de café, cacao et ensuite les gens se sont installés à leur propre compte. Et aujourd’hui, ils agressent les planteurs ivoiriens. Ils se disputent même la propriété des terres. Cela devrait nous servir. Il faut que nous réagissions pour que les Ivoiriens ne soient pas étrangers chez eux. Car, actuellement, on fait en sorte que l’Ivoirien soit étranger chez lui. Mais les Ivoiriens n’accepteront jamais cela. (…) »

Tous les déséquilibrés mentaux ne sont pas dans des centres psychiatriques. Celui-là même qui a dirigé la Côte d’Ivoire de 1993 à 1999, qui a co-gouverné (2011-2018) avec l’actuel Chef de l’État Alassane Ouattara a-t-il perdu la raison à 85 ans?

On est porté à croire que la nostalgie du pouvoir pousse le “digne héritier” d’Houphouët à tomber dans la bassesse. Sans aucune preuve, si ce n’est pour embraser le pays, le président du PDCI-RDA [parti fondé par Félix Houphouët-Boigny] prétend que l’actuel régime “fait venir des étrangers armés” à Abobo pour attaquer les “vrais Ivoiriens” en 2020. Tout feu tout flamme, en présence de chefs traditionnels, l’homme qui se fait appeler affectueusement N’Zuéba va plus loin en disant qu’actuellement, le gouvernement ivoirien “fait en sorte que l’Ivoirien soit étranger chez lui” et qu’il faut “agir pour que les Ivoiriens ne soient pas des étrangers chez eux”. Quand le monstre de l’Ivoirité nous tient ! Comment est-ce possible d’insinuer qu’un gouvernement fait en sorte que ses propres populations se sentent étrangères dans leur propre pays ?

À combien le gouvernement ivoirien achèterait-il des “étrangers” à l’extérieur de la Côte d’Ivoire? A-t-on besoin de quitter son pays pour venir se faire enrôler comme électeur ivoirien sachant qu’on n’est pas obligé d’être physiquement en Côte d’Ivoire pour voter ? D’ailleurs, combien d’étrangers supposés enrôlés pourrait participer à une élection en Côte d’Ivoire et fausser les résultats ? À entendre ce genre de discours d’extrême droite venant d’une personne du troisième âge, qui a l’intention de se porter candidat à une élection présidentielle, il faut juste réaliser que Bédié n’acceptera pas les résultats en 2020 quelle que soit toute la transparence qu’il pourrait y avoir.

Sinon, l’orpaillage, cette façon artisanale de rechercher l’or dans les cours d’eau, n’est pas né en 2019 en Côte d’Ivoire. Et qui a dit que les chefs orpailleurs ne sont pas des Ivoiriens ? Oui, l’orpaillage est devenu un véritable fléau. Mais on ne devrait pas utiliser ce problème de société à des fins politiques.

Au juste, c’est qui les étrangers ?

L’Ivoirien du Nord qui s’installe au Sud ou l’Ivoirien de l’Ouest qui s’installe à l’Est n’est-il pas étranger dans son propre pays ? Qui n’a jamais été étranger dans son village lorsqu’il part pour des vacances ? Vous, les hommes politiques, n’êtes-vous pas fiers de sécuriser vos biens à l’étranger ? Vous n’êtes pas fiers d’envoyer vos enfants étudier à l’étranger ? Vous n’êtes pas fiers de demander l’asile politique à l’étranger lorsque vous mettez le feu aux poudres ou quand vous sentez votre vie en danger dans votre pays d’origine ? À ce stade, quand ça vous touche, le terme étranger n’est pas péjoratif.

Ce “discours mortifère” prononcé par Bédié, que tout Ivoirien lucide devrait condamner avec la dernière énergie d’où qu’elle viennent, est pire et scabreuse que les propos tenus en janvier dans une phrase par le député Alain Lobognon. Pourtant, ce tweet lui a valu quelques jours de prison.

Diantre ! Au juste, c’est qui les étrangers qui vous donnent du fil à retordre ? Quand vous êtes désespérez, vos propres frères deviennent des étrangers, la cause de vos malheurs. Ah oui, vous avez fait appel à des étrangers pour vous aider à construire « votre pays ». Aujourd’hui, vous leur demandez de retourner chez eux ?

Les étrangers ont le droit de travailler pour vous, mais pas le droit de vivre avec vous. Quand ils décident d’y rester, ils sont qualifiés d’envahisseurs, de faussaires ou d’étrangers armés. Accepteriez-vous d’être spolié d’une maison ou d’un terrain que vous avez acheté à Paris parce que vous êtes considéré comme étranger en France ?

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Les vrais ennemis de la République, ce ne sont pas les étrangers mais plutôt ceux-là mêmes qui veulent vaille que vaille s’accaparer du pouvoir en poussant à l’affrontement. Il est temps que les Ivoiriens se réveillent. Il est encore temps de s’éloigner de ces hommes politiques mafieux aux discours populistes dangereux. Ces thuriféraires d’un certain âge qui font croire aux Ivoiriens qu’ils veulent le pouvoir pour les sortir de la pauvreté, leur redonner une certaine dignité, n’ont en réalité qu’un seul objectif : utiliser des populations comme du “bétail électoral” et s’enrichir une fois aux affaires. Quand le pouvoir rend fou…

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