Journalisme et droits humains, mon expérience en Côte d’Ivoire
Ce titre n’est pas le thème d’un mémoire ! C’est celui que nous avons choisi pour la Conférence de lancement de la première édition du ‘’Prix du jeune journaliste en Haïti’’, organisé par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et ses partenaires, le jeudi 26 mars 2015, à l’auditorium de la Fondation Connaissance Liberté, ou – en créole -, Fondasyon Konesans Ak Libète (FOKAL).
A travers le choix du thème : « Journalisme et droits humains : contexte et pratiques de terrain », on a voulu inspirer les jeunes journalistes de la presse – écrite, parlée et audiovisuelle haïtienne -, prétendants à ce concours de journalisme, dans leurs prochains articles à soumettre (voir le blog: www.prixdujeunejournalistehaiti.wordpress.com).
Ce que j’ai dit à cette rencontre… devant le parterre de personnalité, dont l’ambassadeure du Canada en Haïti, Paula Caldwell St-Onge, le Directeur régional de l’OIF pour la Caraïbe, David Bongard et le Directeur du Bureau Caraïbe de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), Alain Charbonneau.
Evidemment, je voudrais partager avec vous ce petit moment spécial d’avoir été aux côtés d’éminents intervenants (dont le journaliste, écrivain et historien haïtien Michel Soukar ; Mergenat Exantus, correspondant de l’agence de presse en ligne AlterPresse et Marie Yolène Gilles du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), pour parler de ma pratique journalistique des questions de droits de l’homme en Côte d’Ivoire où l’impunité était le maître mot. Parler d’une expérience dans un pays traversé par des conflits ethniques, où il fallait traiter de ces questions sans s’autocensurer, sans attiser plus la haine entre les communautés, mais tout en étant responsable.
Sans vouloir faire la genèse de la presse ivoirienne, je n’ai pas caché de dire que nous sommes encore à la croisée des chemins. De mes cinq petites années du journalisme de terrain au pays des éléphants, j’ai connu un Avant, un Pendant et un Après (A.P.A) crise post-électorale ivoirienne. Comment être impartiale lorsqu’on pointe ton journal comme étant la voix des gens du nord, d’un parti politique, d’un homme politique ou d’un homme d’affaire ?
Un nom nordiste à problème !
Pour moi, tout à commencer avec la difficulté que le nom à l’état civil posait. Pendant mon apprentissage de presque deux ans sur le tas, je n’ai jamais signé un article avec mon vrai nom, ni l’un de mes prénoms. Tout simplement parce que nous étions sous le magistère de l’ex-président Laurent Gbagbo et l’organe de presse dans lequel je travaillais (objectivement critique vis-à-vis du pouvoir, le journal) était vu comme un support à la solde de ce parti de l’opposition d’alors dirigé par un nordiste, Alassane Ouattara.
Sous cet angle, je ne pouvais donc pas intégrer un journal déjà étiqueté par le pouvoir en place comme un ‘’média nordiste’’ et signé des articles avec un « nom nordiste ». Quoi de plus normal ! Etant donné que ce journal, qui faisait plus d’investigation, de par sa ligne éditorial, se voulait « ni neutre, ni partisane, ni proche de celui-ci… encore moins de celui-là », où toutes les composantes de la société avaient droit à la parole.
Ne voulant donc pas être un réceptacle (dans la forme) de journaliste nordiste (d’autant qu’il y en avait déjà), et s’attirer une furia, j’ai été obligé de me trouver un nom d’emprunt venant de l’ouest (que je devais obligatoirement aimer) pour pouvoir commencer ce métier doux-amer. A partir de ce moment, j’ai compris qu’on ne me reconnaîtrait plus (mes amis, ma famille, mes parents) à travers mes écrits, qui rentraient définitivement dans les archives, sous ce pseudo. D’ailleurs, j’ai dû essuyer des saillies à des endroits lorsque je disais que je m’appelais « Dacoury Vincent1».
Sous les feux de la rampe !
Et pendant ce temps, les journalistes broient du noir dans la plus part des rédactions. En plus, la dépénalisation des délits de presse n’était pas une réalité sous « la refondation » (slogan du défunt régime). Les interpellations des journalistes étaient monnaie courante devant les autorités policières et judiciaires. Je me souviens de l’arrestation de 3 journalistes de « Le nouveau courrier », le 13 juillet 2010 à Abidjan, par le procureur de la République, les accusant de « vols de documents administratifs » parce qu’ils avaient fait des révélations dans une affaire de ‘’détournements dans la filière café-cacao’’. On a vu ces journalistes passer des nuits à la police criminelle, parce qu’ils refusaient de révéler leur source. Je ne reviendrai pas sur l’assassinat du journaliste de Radio France Internationale (RFI), Jean Hélène. L’homme âgé de 50 ans, a été abattu d’une balle de kalachnikov dans la tête le 21 octobre 2003 à Abidjan (Côte d’Ivoire) par un policier. Je ne reviendrais pas également sur la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, le 16 avril 2004 à Abidjan (Côte d’Ivoire), alors qu’il enquêtait sur la même filière café-cacao2.
Bref, tout ça était une vraie et longue tragédie dans mon pays avant qu’on ne tombe dans les élections présidentielle de 2010, sensée sortir la Côte d’Ivoire de sa longue crise. Que non ! C’est à ce moment que le pire va s’installer dans les cœurs. Entre les gens du nord et ceux du sud… la situation s’est plus détériorée.
Moins d’un moins après le scrutin du 28 novembre 2010, qui s’est soldé par la victoire du candidat de la coalition de 5 partis politiques de l’opposition ivoirienne (le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix: RHDP), le pays est à feu et à sang. Pourquoi ? Parce que le candidat président sortant, déclaré perdant dans les urnes, Laurent Gbagbo, refuse de quitter le pouvoir. La tension monte et monte. Il n’est plus aisé de circuler dans les rues de la capitale, Abidjan. Nous journalistes, de surcroît, taxés d’être à la solde de la coalition de partis de l’opposition qui vient de gagner les élections, ne sommes plus libres de nos mouvements. Le seul endroit où nous pouvions aller et travailler dans la tranquillité était le Golf Hôtel, appelé autrefois « la plus petite République du monde ». Puisque c’est dans ce carré que le vainqueur des élections était logé en plus d’être avec sa famille politique et tous ceux qui se reconnaissaient en lui, à ce QG de campagne des élections de 2010.
C’était donc dans cet hôtel que l’information se trouvait. Or, n’entrait pas qui voulait sur ce territoire où la nourriture était héliporté, même le transport des journalistes de la presse nationale et internationale était assuré par l’Opération des Nations-Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Lorsque le 12 mars 2011, le Colonel-major à la retraite Dosso Adama, l’ex-pilote du président fondateur de la Côte d’Ivoire et époux de la directrice de l’Institut pasteur de Côte d’Ivoire, de retour d’une visite au Golf Hôtel, s’aventure au check-point, l’homme est automatiquement enlevé par une garde prétorienne. Son corps sera retrouvé plus tard dans la brousse de l’autoroute du nord (j’étais au procès lorsque le criminel a dit vertement qu’il l’a tiré à bout portant une balle dans la tête).
L’omerta sur les cas de violations !
A ce moment précis de la crise, c’était l’omerta sur les cas de violations des droits de l’Homme. On n’avait pas le choix… je résume:‘’Si tu ne veux pas assister à une descente musclée d’une certaine soldatesque dans tes locaux, tu avais au moins le droit de garder le silence. Sinon, tout ce que tu dirais serait retenu contre toi…’’ Des arrestations arbitraires aux enlèvements nocturnes en passant par les guérillas urbaines, c’est ce à quoi on assistait de jour comme de nuit. Les journalistes ou organes de presse qui osaient mettre en lumière ces violations perpétrées par les hommes encagoulés du régime, qui refusaient de mourir de sa belle mort, étaient traqués jusque dans leur dernier retranchement.
Pour preuve, dans l’organe de presse dans lequel je travaillais, on était face à de nombreuses menaces de mort jusqu’à ce que nous arrivions un matin trouvé les marchands de la mort à proximité de nos locaux. Ce jour, je ne vous en dirais pas plus. Mais sachez que du patron au planton, chacun a pris ses jambes à son cou. Depuis, nous étions constamment obligés de changer de logis, squatter des appartements pour pouvoir travailler, faire en sorte que le journal papier puisse paraître chaque jour.
Mais quand la quand la crise a atteint son paroxysme, toutes les rédactions de presse ont mis la clé sous le paillasson. Des jeunes, soi-disant « patriotes », armés jusqu’aux dents par le pouvoir Gbagbo, ont reçu mandat d’installer des postes de contrôle dans tous les carrefours, dans les quartiers et dans la plupart des communes qu’ils pouvaient. Ils fouillaient tous les passant, surtout les ‘’politiquement incorrectes’’, les nordistes (identifiable par leur nom et les tenues vestimentaires parfois) avaient moins de chance. Beaucoup ont subi le tristement célèbre « article 125 » (pétrole 100 francs CFA + allumettes 25 francs CFA). Les plus chanceux étaient passés à tabac et laissés pour mort.
J’ai changé de fusil d’épaule !
Bref, à cette période, il n’y avait plus de journalistes dans les rues. Surtout que la Société de distribution de toute la presse ivoirienne (Edipresse) a été incendiée. Ceux qui n’avaient pas quitté Abidjan ou la Côte d’Ivoire étaient cloitrés chez eux pour écouter les bruits des canons, des armes lourdes, des lances roquettes et des pistolets.
C’est à ce moment que j’ai véritablement changé de fusil d’épaule, en faisant mon entrée sur médias sociaux, notamment sur Skype, Facebook et le Blog. Toutes les informations que je recevais étaient immédiatement relayées sur ces réseaux après recoupement. Et le plus souvent, il s’agissait d’alerter sur les positions des hommes en armes qui attaquaient souvent des populations et des personnes qui faisaient face à des cas de catastrophe sanitaires et des problèmes de nourriture (toutes les boutiques, les magasins et autres commerces avaient baissé le rideau). En plus, le pays venait aussi d’être frappé par un embargo de l’Union européenne. Le port d’Abidjan fonctionnait à sec…
Après la chute de Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, on commence à retrouver nos esprits. La situation se normalise petit à petit, lorsque le président démocratiquement élu, Alassane Ouattara, prend les rênes du pouvoir. Il adresse un message fort au peuple ivoirien et envoie un signal fort au monde entier en criant la fin de l’impunité en Côte d’Ivoire.
Effectivement, depuis l’élection du président Ouattara, beaucoup de partisans de l’ancien régime, ‘’politiquement incorrecte’’, ont été arrêtés. Sans rappeler que la cheville ouvrière de la crise ivoirienne, notamment Laurent Gbagbo, Simone Gbagbo et Charles Blé Goudé, contre qui des mandats de la Cour pénale internationale (CPI) planaient depuis leurs implications dans la crise post-électorale, ont été transférés à l’exception de l’ex-première dame.
En tout état de cause, lorsque que les journalistes ont repris le chemin des rédactions, après cette crise sanglante qui a fait officiellement 3000 morts, on a constamment été à la justice pour des « procès relatifs à la crise post-électorale ».
À la croisée des chemins…
Cela dit, peut-on dire aujourd’hui que l’impunité a vraiment pris fin en Côte d’Ivoire ? Lorsqu’on entend crier de gauche à droite qu’il y a une « justice des vainqueurs » – même s’il n’y a pas de justice des vaincus – , parce que ce sont les proches de Laurent Gbagbo qui croulent dans les prisons ; lorsque que des journalistes continuent d’être menacés, pendant que d’autres sont tués, à l’exemple de Désiré Gnonsio Ouésans, sans que les enquêtes ne nous révèlent la vérité ; pendant que des personnes subissent l’harcèlement des hommes en treillis, sont l’objet d’intimidations, avec les règlements de compte? je ne peux pas dire oui… (même si je ne doute pas de la volonté de l’actuel président) !
Aussi, doit-on dire que la presse est maintenant indépendante en Côte d’Ivoire ? Je ne peux pas dire oui, parce que les médias sont toujours sous le contrôle d’un tel pouvoir ou d’un tiers qui donne les orientations. Même ceux qui essayent d’être indépendant savent qu’ils ont besoin d’être quelque part pour montrer son existence au risque de disparaître sans l’appui du sponsor.
Alors, si ton tabloïde n’est pas indépendant, est-il possible pour toi le journaliste de révéler des malversations financières courantes dans des ministères ou relater des cas de violations graves des droits humains commises par des proches du pouvoir, qui peuvent ternir l’image de ton organe à la Présidence, pendant que ton patron attendait la « subvention du Gouvernement » pour pouvoir te payer?
Voyez à quel point le métier est dur en Côte d’Ivoire. Je ne doute pas du sens de l’objectivité des journalistes, mais peuvent-ils exercer le métier dans les règles de l’art, dans un environnement ‘’sain’’, sans s’attirer la foudre des gourous ?
C’est vrai que depuis ces derniers temps, les conditions du journaliste s’améliorent de mieux en mieux, avec la mise en place d’une certaine politique. Le Conseil National de la presse (CNP), l’autorité de régulation de la presse écrite3 fait de son mieux pour que les choses changent en Côte d’Ivoire avec l’application de la Convention collective par les patrons de presse. Même si les choses avancent cahin-caha. Surtout avec la ‘’confiscation’’ de l’espace audiovisuel avec seulement deux chaînes de télévision nationale pour une population d’environ 25 millions d’habitants.
Mais pour moi, c’est clair… S’il est vrai que les médias sont comme un miroir et que le rôle du journaliste est de renvoyer à la société ce qu’il voit, la vérité, et que vous n’avez pas encore pris votre carte de journaliste indépendant, commencez à créer votre blog pour marquer la rupture… avec certaines lignes éditoriales ! Dans le cas contraire, vous pouvez continuer de faire de la COM, servir les hommes politiques, les hommes d’affaires. Et quittez…
FBI
1 : Après la crise post-électorale, quand j’ai changé de rédaction, j’ai abandonné la signature Dacoury Vincent. Mon nouveau pseudo (FBI) était plus original, puisque ce sont les initiales de mon nom et prénoms (Fofana Baba Idriss) à l’état civil.
2 : La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de Cacao, même si le chocolat reste une denrée rare dans le pays, à cause du prix dans les boutiques.
3 : Pour la presse écrite en Côte d’Ivoire, il faut compter environ une soixantaine de titres, toutes categories confondues (quotidien, hebdo, magazine), même si c’est une quinzaine qu’on voit dans les kiosques.
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